Gérard Ansaloni Parole de chanson La joieLa première fois que je vis
Rire son très jeune visage,
Elle montrait un cou ravi,
Etant assise, aimable usage,
Comme un ludique farfadet,
Dessus l'épaule de ma mère;
Et ce jeune et gai muscadet
Rendait le son, oh ! ma commère !
De bracelets dégringolant
Du haut d'une fraîche cascade !
Et ce phosphore lumineux
Et cancanier comme une treille
Etait une eaux de Molineux
Dans un charivari d'abeilles
Ou bien dans un palais d'été
La course nue des jeunes filles
Dont les pieds blancs et tout mouillés
Giflent le marbre où des jonquilles
Sont renversées, des colibris
Eparpillés; je vis la joie !
La joie ! Petite, écoute bien,
La joie descendant la colline
Avec ses beaux genoux sans rien
Autour et sa lèvre mutine.
La joie, ma fille ! et le sénat
Tout remué, vieille marmite,
Soupire dans ses cadenas
En te voyant, jolie truite,
Pétiller dans les beaux ruisseaux
Qui dévalent de tes bras tendres
Et j'adore te voir, faisceau
De muguet sur du palissandre
Enluminer mon bon travail,
Mon austère et fol ermitage,
Opiniâtreté de bétail
Dedans son tellurique stage.
La deuxième fois, j'entendis
La fuite de sa voix heureuse,
La solitaire psalmodie
Dedans le chant de l'amoureuse;
Et l'eau, ruisselant sur l'émail,
Chantant sur les miroirs sonores,
Etait un choeur dans ce sérail
Qu'est le bain de l'épouse encore
Nue; ma fille, je te le dis,
J'ai entendu chanter la joie.
La joie ! Petite, écoute bien
Son charivari de sirène
Et sa bonne tête de chien,
Son bazar de fête foraine
Et ses beaux yeux lors du retour
Et son huitième anniversaire;
Et l'hymne des coloratures
Ou l'oeuvre du saint qui macère.
Et quand tout est passé,
Je veux dire l'enfance
Et quarante ans cassés,
Quand la joie devient panse
Oh ! ma belle, on dirait
Qu'une bête et méchante
Bête en nous se distrait
De ce qui nous déchante;
Qu'il est un peu plus dur
A chaque jour qui passe
De s'asseoir sur le mur
Où l'on fait des grimaces,
Et pour te dire tout,
Je me fais parfois honte;
Et ces vilaines toux,
Ces "Vous" que l'on me conte
Sont les sinistres instruments
Qui peu à peu séparent l'âme
D'avec son las récipient,
Ces instruments dont nous pouffâmes
Du temps de notre meilleur temps.
Enfin, lors, c'est en conscience
Que je savoure en tes huit ans
L'aloi de joie et de science
Qui me ravit la tierce fois
Que je la sus dans tes gambades:
La joie, ma belle et bonne humeur,
Qui est dans toi comme l'ivresse
Dans le flacon et la rumeur
D'un beau soleil dans la caresse
De ses rayons aux blancs balcons
Orientaux, comme la palme
Dans la fraîcheur du doux cocon
Où le sérail, parfois, se calme.